Du patient à l’« actient »

Traiter le cancer par l’eurythmie curative ou avec des cataplasmes d’achillée ? La méthode paraît peu orthodoxe. Marc Schlaeppi, directeur du Centre de médecine intégrative de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall, l’applique pourtant tous les jours pour activer les forces d’autoguérison de ses patients. Le 5 novembre, à l’occasion de la Journée sur l’efficacité personnelle organisée par la SNC à Berne, il parlera de son utilisation en oncologie. Petit aperçu en avant-première.

Dr. Marc Schlaeppi

Interview: Peter Ackermann

Marc Schlaeppi, développons-nous nos forces à partir de talents innés ou à la suite de faiblesses qui nous poussent à bifurquer vers d’autres domaines pour y faire fructifier nos capacités ?
Pour transformer une faiblesse en force, il est nécessaire de pouvoir s’appuyer sur une base. Si cette base est là et que la souffrance ou la prise de conscience sont suffisamment marquées, on peut dégager de nouvelles perspectives et briller dans un nouveau domaine.

Avez-vous connu une telle évolution dans votre parcours ?
Oui. À mes débuts, j’avais tendance à me forger une opinion dans mon coin. J’évitais de prendre la parole en public et de m’exposer. Mais comme je suis convaincu que mon activité a du sens et que la médecine intégrative est utile, j’ai appris à défendre fermement mon point de vue. Aujourd’hui, je le fais volontiers, même si cela doit me valoir des attaques.

Devez-vous souvent expliquer aux spécialistes de la médecine conventionnelle ce qu’est la médecine intégrative ?
Oui, c’est souvent nécessaire.

Et qu’est-ce qui caractérise la médecine intégrative ?
La médecine intégrative réunit la médecine complémentaire et la médecine conventionnelle en un concept global. Elle les associe de manière à ce qu’elles se complètent judicieusement en tirant parti de leurs atouts respectifs. Nous utilisons les méthodes les plus diverses pour stimuler les forces d’autoguérison des patients afin d’arriver à un équilibre entre le corps et l’âme. Par ailleurs, les malades apprennent à soutenir leur foie avec des méthodes telles que des enveloppements chauds-humides d’achillée, à mieux supporter leur chimiothérapie grâce à une thérapie par le gui ou encore à évacuer le stress grâce à la médecine corps-esprit et à avoir une bonne hygiène de vie pour améliorer leur qualité de vie pendant et après le traitement. La médecine intégrative a pour but de transformer un patient passif, profondément déstabilisé et sous le choc du diagnostic, en un patient actif et motivé, un « actient » qui développe son efficacité personnelle sous la direction d’un professionnel.

Combattre le cancer avec du qi gong, des cataplasmes d’achillée et un traitement à base de gui : cela paraît bien hasardeux. La médecine intégrative est-elle en butte aux railleries des praticiens de la médecine classique ?
Seulement lorsque ceux-ci ne savent pas de quoi il est question. Dans ce cas, le terme de « médecine complémentaire » suscite des réserves. Nous ne combattons pas le cancer ; nous soutenons l’organisme du patient.

À l’inverse, devez-vous aussi expliquer ce qu’est la médecine intégrative à un praticien des méthodes complémentaires?
En général, non. En acquérant le certificat de capacité, il a déjà pratiqué la médecine intégrative dans le cadre de son perfectionnement.

La médecine complémentaire séduit la population. Jeanne Fürst, animatrice de l’émission télévisée « Gesundheit heute », a déclaré dans une interview accordée à la Schweizer Familie en août : « Les taux d’audience élevés nous montrent l’extrême popularité de la médecine complémentaire. »
Même si la médecine conventionnelle occupe une place prépondérante, la médecine complémentaire suscite l’intérêt et a un rôle à jouer. Dans mes conférences, j’utilise régulièrement une expérience pour illustrer cela : je demande aux participants de fixer un point rouge sur un écran pendant une minute, puis je l’enlève, et ils voient…

… un point vert.
Exactement. Ils voient la couleur complémentaire. Il en va de même avec la médecine conventionnelle et la médecine complémentaire : les deux univers vont ensemble. Ce ne sont pas des mondes opposés ; la relation qui les unit n’est pas une relation d’exclusion, mais d’inclusion.

D’après les estimations, plus de la moitié des personnes touchées par le cancer souhaitent tester des méthodes non conventionnelles. Qu’est-ce que ce souhait nous dit des éventuelles lacunes de la médecine classique ?
Il montre ce qui manque aux patients dans la médecine classique. Prenons l’exemple d’un carcinome mammaire : une fois le diagnostic posé, l’oncologue utilisera tous les moyens de la médecine moderne pour prodiguer le meilleur traitement possible à la patiente. Celle-ci sera opérée, elle recevra une chimiothérapie, une radiothérapie, etc. Cette approche convient parfaitement à certaines patientes. Mais bien souvent – c’est classique –, la patiente a le sentiment d’être réduite à la passivité et elle s’interroge : quelle est ma contribution dans tout cela ? Que puis-je faire pour mon corps, mon esprit ? Comment puis-je jouer un rôle actif ?

Que souhaitent les patients concrètement ?
Ils veulent prendre en main un bout de leur existence menacée. Et pour cela, ils veulent souvent quelque chose qu’ils associent à la santé, à la nature, par exemple un remède à base de plantes. Ils se tournent alors vers la médecine complémentaire.

Vous présenterez un exposé lors de la Journée sur l’efficacité personnelle organisée par la SNC le 5 novembre prochain. L’efficacité personnelle joue un rôle essentiel dans la médecine intégrative. Comment la développez-vous chez vos patients dans la pratique ?
Avant de proposer une quelconque substance ou un quelconque traitement, nous mettons trois domaines en lumière lors de la première consultation : le mouvement, la pleine conscience et le rythme. Avec ces trois éléments, on peut déjà faire beaucoup chez un grand nombre de patients. Le mouvement, par exemple, renforce les muscles et la circulation sanguine ; il stimule aussi le métabolisme et le système immunitaire. Par ailleurs, il aide à combattre la fatigue. La pleine conscience, elle, peut permettre de diminuer le stress : qu’est-ce que le patient est en mesure de faire ? Dans quels domaines a-t-il tendance à en faire trop, à mal estimer ses forces ? Enfin, nous analysons son rythme jour/nuit : comment dort-il ? Est-il fatigué le matin ? Une sieste à midi lui ferait-elle du bien ? Nous l’aidons à entrer en action de façon créative et à accroître son efficacité personnelle dans tous ces domaines.

Et après ?
Nous clarifions les attentes du patient. Dans quels domaines se sent-il capable d’agir ? Qu’est-il en mesure de faire lui-même ? Nous définissons ensuite les ressources et les succès sur lesquels il peut s’appuyer : qu’a-t-il déjà fait ? A-t-il des modèles ? Qu’ose-t-il faire ? Nous utilisons également des substances, des applications, des thérapies et des formations. Pour les substances, il peut s’agir de substances amères comme la gentiane pour traiter les nausées. Nous montrons au patient comment appliquer lui-même un enveloppement chaud-humide et jouer ainsi un rôle actif, ou nous associons un proche à la démarche en lui expliquant comment préparer un cataplasme au gingembre pour les reins. L’acupuncture figure également parmi nos offres ; elle permet de combattre les symptômes et donne de bons résultats pour soulager les nausées et les douleurs. Nous proposons aussi, entre autres choses, des remèdes à base de plantes, de l’eurythmie curative, de l’art-thérapie et un entraînement à la pleine conscience pour maîtriser le stress. Récemment, nous avons mis en place, en collaboration avec l’Hôpital universitaire de Zurich, un programme de médecine corps-esprit de plusieurs semaines ; il repose sur l’activité physique, la relaxation et des techniques de gestion du stress et aborde aussi l’alimentation, la communication et la spiritualité. 

L’efficacité personnelle n’est pas le seul facteur déterminant ; il y a aussi ce qu’on en attend.
Oui, car lorsque le patient n’a pas d’attentes ni de ressources sur lesquelles s’appuyer, il ne fait rien. Nous travaillons par conséquent avec des paramètres tels que succès, modèles, liens sociaux et émotions. Les patients peuvent travailler sur tous ces domaines. Être actif ne suffit pas ; il faut encore que l’action aille dans la bonne direction.

Comment l’efficacité personnelle se développe-t-elle ?
À partir des succès que l’on récolte et de la confiance que nos parents et notre entourage personnel nous ont insufflée depuis l’enfance en nous disant « tu vas y arriver ».

Comment renforcez-vous l’efficacité personnelle de votre fils de 13 ans ?
En premier lieu par des motivations positives, ce qui est facile dans son cas : il fait tellement de choses bien que je n’ai qu’à lui apporter une confirmation. Quand il se présente à un examen, j’ai confiance dans le fait qu’il va réussir. Et s’il devait échouer, je lui dirais que ce n’est pas la fin du monde, mais qu’il va apprendre quelque chose de cet échec et qu’il s’en relèvera. J’ai une confiance instinctive immense en mon fils.

Alors, vous seriez d’accord avec cette citation de Winston Churchill ­– que je détourne de son sens premier pour l’appliquer à l’efficacité personnelle : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise. »
Oui. Mais je ne conseillerais pas de dire cela à un patient. Cette phrase peut être appropriée après un traitement couronné de succès, mais durant la maladie, elle pourrait facilement être vue comme une remarque déplacée, voire arrogante.

La foi rend-elle heureux ?
Oui, c’est une conclusion possible : sans la foi qui nous fait avancer et nous donne le courage d’agir, il n’y aurait pas d’efficacité personnelle.

Le cancer entraîne une perte de confiance dans le corps. N’est-il pas alors extrêmement difficile de croire à son efficacité personnelle ?
Oui. Les personnes atteintes d’un cancer passent par une crise sévère. Mais il est possible d’établir une nouvelle relation à soi et à son corps.

En tant que médecin, comment vous positionnez-vous face aux coups du sort qui frappent vos patients ?
J’ai confiance dans le fait que l’être humain est capable de sortir d’une crise profonde et qu’une lumière peut apparaître au bout du tunnel, quelque chose de léger et de bénéfique. Ce n’est pas une certitude, il n’y en a pas ; c’est ma façon de voir les choses. À travers cette approche, j’essaie d’accompagner les patients afin de les aider à reprendre pied avec des mots, des repères et des offres.

Dans quel domaine l’efficacité personnelle déploie-t-elle le plus d’effets : dans le traitement, le suivi ou les soins palliatifs ?
Il faut partir de là où le patient se trouve.

Avez-vous en mémoire un grand changement auquel vous avez assisté chez un patient ?
Nous observons bien sûr des changements impressionnants vers le mieux. Mais dans la pratique quotidienne, les succès modestes sont beaucoup plus fréquents et au moins aussi importants : des patients qui dorment mieux grâce à des exercices, des enveloppements chauds ou un traitement à base de gui qui diminuent la fatigue. Et des patients qui disent : « Je sais enfin à présent ce que veulent dire d’autres malades quand ils parlent de qualité de vie. » Je n’oublierai jamais cette patiente en situation palliative à qui il ne restait peut-être plus que quelques semaines à vivre et qui a déclaré : « De toute ma vie, je ne me suis jamais sentie aussi bien que maintenant. » Le bien-être qu’elle ressentait n’était pas dû à l’euphorie engendrée par la morphine, mais à son évolution personnelle, dans laquelle la pleine conscience a joué un rôle central. Elle a accédé à une qualité de vie qu’elle n’avait jamais connue grâce à l’accompagnement assuré dans le cadre de la médecine intégrative.

« Grâce à ma maladie, ma vie est devenue plus belle » : est-ce là une phrase standard chez vos patients ?
Nous l’entendons effectivement régulièrement. Mais seulement après coup, lorsque les traitements sont derrière et que l’on a réussi à écarter la maladie qui mettait l’existence en péril. Au cours du processus de transformation, aucun patient atteint d’un cancer ne dirait cela, car les malades vont généralement trop mal. Ils ont des nausées, n’arrivent pas à se nourrir, ont des difficultés à dormir ; leur libido est en chute libre et ils ont peur des pertes qui les attendent. Dans cet état, aucun ne parle de belle vie. Juste de survie.

L’art-thérapie – la peinture, par exemple – figure également parmi vos offres. Que développent les thérapies de ce type ?
Pour vous répondre, je prendrai une image qui représente la mer. Sur cette image, il y a les vagues, l’océan sans fond et l’air. Quand je prescris un médicament à un patient et qu’il le prend, il se passe énormément de choses au fond de la mer, dans son inconscient. Quand j’aborde avec lui les questions du sens de l’existence, nous sommes dans l’air, en état de veille, dans le domaine du conscient. Avec l’art-thérapie, je me trouve entre deux avec le patient. Sur les vagues, qui ne se laissent pas dompter.  On ne contrôle jamais une vague, et c’est le même principe quand on peint : tout  ce qui surgit des profondeurs ou flotte dans l’air ne peut pas être nommé immédiatement. Le patient doit formuler lui-même ce qu’il y voit. L’art-thérapie l’aide à enclencher un processus dans lequel les choses invisibles émergent à la surface.

Cela est-il aussi valable pour l’écriture thérapeutique ?
L’écriture n’est qu’une autre forme d’art. Elle consiste à formuler des choses et implique un état de conscience accru par rapport à la peinture. En formulant, on fait un travail sur soi. L’écriture est un excellent moyen pour cela. 

Et si les attentes du patient par rapport à l’efficacité personnelle ne se réalisent pas ? Le sentiment d’impuissance et de désespoir, l’impression d’incompétence personnelle se renforcent-ils ?
Cela peut arriver. C’est pourquoi il est indispensable que le patient se fixe des objectifs réalistes avec l’aide d’un professionnel. Les recherches sur la qualité de vie menées par Sir Kenneth Calman le montrent : quand on place la barre trop haut, par exemple à 90 sur une échelle qui va jusqu’à 100, on risque d’être malheureux, car il sera extrêmement difficile d’atteindre son objectif. Si on vise 46 et qu’on arrive à 43, le fossé entre ce que l’on attend et ce que l’on a atteint – le Calman-Gap – est nettement plus petit et la satisfaction est grande.

Quand un patient voit que son comportement n’a pas l’effet escompté, il en cherche les causes en lui-même. Le psychologue Martin Seligman parlait d’une « impuissance acquise » avec des dépressions à la clef.
Cela montre que les mesures thérapeutiques ne s’improvisent pas. Elles doivent être dirigées par un professionnel. Il faut en quelque sorte un guide de montagne qui voit où le patient se trouve, comment il progresse et quels objectifs il peut atteindre.

Pour certaines méthodes non conventionnelles, la frontière avec le charlatanisme est ténue. On trouve par exemple sur internet des prestataires qui prétendent guérir le cancer uniquement par la méditation ou l’hypnose.
Pour moi, il s’agit là de méthodes alternatives. La médecine intégrative et la médecine complémentaire se distinguent clairement de ce genre d’approches. 

« J’ai un cancer du sein. Je refuse toute aide médicale et je change radicalement de vie pour guérir ». Votre réaction à ce message publié sur internet par une patiente qui renonce aux traitements classiques et entend se soigner uniquement par l’hypnose et la méditation ?
Le changement est bénéfique, la pratique de la pleine conscience est excellente et l’hypnose comme la méditation sont des moyens formidables pour y parvenir. Mais penser que le cancer disparaîtra uniquement grâce à cela n’est pas réaliste.

Contre quoi faut-il mettre les patients en garde ?
Contre les fausses attentes et les faux espoirs. Contre les thérapeutes qui leur conseillent de se détourner de leur oncologue et de renoncer à la morphine par principe. Et contre les offres coûteuses qui ne relèvent pas de la médecine : celles-ci peuvent avoir des conséquences financières désastreuses. Une offre sérieuse est rattachée à la médecine conventionnelle. Idéalement, le patient discute ouvertement avec son oncologue des méthodes qu’il souhaite utiliser en plus de son traitement.

Est-il acceptable à vos yeux d’utiliser des médicaments dépourvus de véritables substances actives et dont l’effet repose exclusivement sur le pouvoir de suggestion – donc des placebos – pour activer les forces d’autoguérison ?
Non, si le médecin trompe sciemment son patient. Mais il est tout à fait judicieux d’utiliser l’effet placebo. Il est établi que cela permet de diminuer la douleur, d’atténuer les maux de ventre et de traiter avec succès les états dépressifs. Dans un certain sens, tout médecin traitant, avec sa foi dans la réussite du traitement, peut être assimilé à un placebo.

Dans quels domaines la médecine intégrative peut-elle fournir des données probantes ?
On dispose de nombreux résultats scientifiques en relation avec  la qualité de vie et l’amélioration des symptômes. Il est par exemple établi que la médecine intégrative permet de combattre la fatigue ou les bouffées de chaleur, ou encore de mieux supporter une chimiothérapie. Son efficacité est surtout reconnue dans les traitements de soutien. Ce que nous ne pouvons pas promettre en revanche, c’est qu’une personne touchée par le cancer vivra plus longtemps ou verra sa tumeur disparaître grâce à la médecine intégrative. Il faut s’en tenir à la vérité.

La médecine intégrative conduit-elle à d’autres formes de santé ?
Si on considère la santé comme un nouvel équilibre en période de crise, oui. Les patients peuvent parvenir à une nouvelle forme de cohérence sur le plan physique, psychique et spirituel bien que la tumeur soit toujours là. Le patient se sent alors en bonne santé malgré les métastases ; il a le sentiment d’être entier.

Quel est le but de la médecine intégrative dans le domaine palliatif : prolonger la vie ou améliorer la qualité de vie ?
Clairement le deuxième. Il est important que les patients y contribuent le plus possible.

Dans quelle mesure la médecine intégrative travaille-t-elle déjà de façon interprofessionnelle ?
Notre équipe réunit plus de 20 personnes – médecins, thérapeutes, infirmières, collaborateurs et collaboratrices administratifs, etc. Tous les mardis, nous discutons les nouveaux cas dans le cadre d’une réunion de concertation pluridisciplinaire à l’Hôpital cantonal de Saint-Gall et passons les patients en revue. Chacun, chacune peut apporter son point de vue. Grâce au personnel soignant, les médecins apprennent par exemple à mieux se mettre à la place du patient, ce qui est utile pour définir la suite des traitements.

Où en est la médecine intégrative dans ses efforts en vue de réunir la prise en charge, l’enseignement et la recherche ?
C’est là une tâche ardue. On n’accorde souvent pas à la recherche et à l’enseignement la place qu’ils méritent, ce qui est dû à des raisons financières, mais aussi aux personnes qui s’engagent dans la médecine intégrative ou complémentaire : ce sont avant tout des professionnels qui s’épanouissent dans le dialogue avec les patients. Cela explique que la recherche et l’enseignement se trouvent souvent mis de côté.

Qu’en est-il des formations destinées aux patients ?
Nous sommes en train de combler notre retard, par exemple à travers des programmes comme le nouveau projet de médecine corps-esprit.

Quels sont les autres éléments essentiels pour mieux promouvoir la médecine intégrative ?
Il est essentiel de mettre en place des consultations de qualité basées sur une solide compréhension de l’oncologie. Et d’orienter rapidement les patients vers la médecine intégrative. La dynamique qui déclenche le transfert est déjà salutaire en soi : le patient se sent soutenu. Il ne fait rien en cachette dont il ne pourrait pas parler à son oncologue ou dont celui-ci pourrait se moquer secrètement.

Qu’en est-il de la mise en œuvre dans la pratique ?
La prise en compte des traitements non médicamenteux est fréquente dans la médecine classique, mais elle ne constitue pas encore la norme. Souvent, c’est le patient qui dit qu’il aimerait essayer quelque chose de plus. Mais le nombre de patients qui nous sont envoyés est en augmentation, ce qui est réjouissant. La médecine intégrative connaît actuellement la même évolution que la psycho-oncologie il y a une vingtaine d’années, psycho-oncologie qui va de soi aujourd’hui.

Qu’attendez-vous de la Journée sur l’efficacité personnelle qui se déroulera le 5 novembre à l’initiative de la SNC ?
Un dialogue interprofessionnel ouvert et passionnant sur les possibilités qu’offre l’efficacité personnelle à nos patients. J’espère par ailleurs qu’elle permettra de nouvelles synergies entre les différents groupes professionnels. Ce serait magnifique si cette Journée pouvait déboucher sur de nouvelles impulsions et perspectives dans la recherche et la mise en œuvre de programmes pour les personnes qui souffrent d’un cancer.

Quels vœux formulez-vous pour la médecine intégrative ?
Je souhaite qu’elle fasse partie intégrante du processus dès la première heure qui suit le diagnostic. Il faudrait encore en apporter la preuve scientifique, mais je suis assez sûr de ce que j’avance : le recours précoce à la médecine intégrative permettrait aux patients de mieux faire face à leur maladie.

Où en sera la médecine intégrative dans dix ans ?
Elle est en train de quitter sa niche aujourd’hui ; dans dix ans, elle fera partie du courant dominant.

Qu’est-ce qui peut accélérer ce processus ?
Nous y travaillons depuis assez longtemps : la médecine chinoise existe depuis 3000 ans ! Plus sérieusement, le changement d’attitude opéré par de nombreux spécialistes de la médecine conventionnelle joue un rôle déterminant. Ils savent aujourd’hui que les mesures dont on ne peut pas calculer exactement tous les effets ont autant de valeur que le traitement du cancer.

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Tout d’abord, les citoyens et citoyennes helvétiques ont inscrit la médecine complémentaire dans la Constitution fédérale en 2009 : la Confédération et les cantons pourvoient à la prise en compte des médecines complémentaires. Ensuite, plusieurs centres oncologiques ont mis en place une offre de médecine intégrative en Suisse ou sont en train de le faire. Je pense par exemple à l’Hôpital de l’île à Berne, à l’Hôpital universitaire de Zurich, à l’Hôpital cantonal de Coire ou à d’autres hôpitaux publics qui planifient une offre de médecine intégrative. Enfin, l’association cliniques-intégratives.ch prévoit une certification et un label pour les services qui respectent des critères de qualité unifiés.

Que souhaiteriez-vous que le ministre de la santé, Alain Berset, fasse pour la médecine intégrative ?
Je souhaiterais un soutien accru à des projets de recherche et des études cliniques sur l’efficacité de la médecine intégrative chez les patients atteints d’un cancer et, de manière générale, de maladies chroniques.

Que vous a appris votre travail sur la nature humaine ?
Rien n’est plus sûr et efficace qu’une attitude authentique durant une consultation et dans les rapports avec les confrères et consœurs.

Portrait

Marc Schlaeppi, 53 ans, médecin spécialiste FMH en oncologie médicale, en médecine interne générale et en médecine élargie par l’anthroposophie, est le fondateur du Centre de médecine intégrative de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall, dont il est aussi le directeur. Il enseigne la médecine complémentaire et intégrative à l’Université de Zurich et à la Haute école spécialisée de Saint-Gall en tant que chargé de cours. Marié et père de deux enfants, il vit à Saint-Gall. Depuis des années, il médite avant d’entamer sa journée et pratique régulièrement l’eurythmie.

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